C’est sur le conseil, et presque l’injonction de Dom Bède Arthe, abbé bénédictin d’Hautecombe, que, pour mon remords et mon repos, je tenterais d’écrire ces pages.
– Quand tout, pour vous, sera enfin devenu clair, m’a-t-il dit (il me parlait à voix basse, la main posée sur mon bras), alors, un de nous vous entendra, pour vous absoudre. Nous ne voulons tout que vous acceuillir parmi nous, vous offrir l’asile de notre silence. Nous prierons Dieu pour qu’il vous guide.
L’autorité de ce religieux, mon cadet de quinze ans, s’imposa à moi dès le premier instant de notre entretien. J’examinai ce visage où les marques de l’ascèse n’ont pas détruit les traces d’une proche jeunesse, ces yeux limpides, tout lumineux d’une foi qui, pour moi, se faisait charité. Déjà je me sentais plus calme. Par la fenêtre je voyais les eaux étales du lac, au pied du mur de l’abbaye : sous ce ciel froid et pur d’octobre, elles étaient pâles, sans ombres, sans frissons. Une grande majesté planait sur elles. Je m’inclinai :
– Que Dieu soit avec vous, mon frère ! me dit encore Dom Bède, au moment de franchir le seuil de ma chambre.
Plus que la beauté glacée du Bourget, ce qui, dès l’abord, me rendit une paix oubliée, c’était de sentir que je n’étais pas seul, qu’un coeur d’homme, sous la robe noire de Saint Benoît, battait pour moi, souffrait de ma souffrance. (Début du premier chapitre)
Plon – 1935 – 283 pp.