Sans jaquette
Que de souvenirs, mon cher Louis, se lèvent en moi à la lecture des pages que ta fidèle affection me fait l’émouvant honneur de dédier à ton vieux “patron” !…
Elles me reportent près de vingt années en arrière, à l’époque où, “découvrant ” le Scoutisme, j’y trouvai le terrain favorable à une rénovation en profondeur de la vie dramatique française, déformée, stérilisée par la routine, Maurice Jacquement, Michel Richard, Pierre Gérin, Olivier Hussenot, Benrard La Jarrige, j’essayai alors de dégager les possibilités dramatiques et humaines, spirituelles et techniques des jeux poétiques ou burlesques qui, tout naturellement, terminent, autour du Feu, la journée du campeur, d’en dégager les principes essentiels, de les faire ou de les refaire authentiquement scouts, dans la plus noble et la plus pure acception du terme..
Je ne dirai pas idi ce que j’ai tant de fois dit et écrit sur cet art, qui – comme tu l’as très bien vu et dit à ton tour – n’a rien à voir avec ce qu’on a coutume de nommer le “Théâtre”, si ce n’est qu’il peut aider à redonner à celui-ci une fraîcheur, une vigueur, une liberté et une rigueur nouvelles, l’inciter à sortir de la petite boite à malices où, trop souvent, il étouffe, radote et piétine, à rejeter des convention périmées et mortelles, à s’aérer…
Et depuis lors en effet, par le truchement et l’exemple de ceux qui, de 1929 à la guerre, furent “Les Comédiens-Routiers” et dont certains sont maintenant parmi les meilleurs espoirs de la scène contemporaine, ce que l’on nomme “l’art dramatique scout”, c’est-à-dire en tout premier lieu l’art du Feu de Camp, a fortement contribué, en sa place, à cette heureuse évolution du Théâtre professionnel, sous l’influence du scoutisme et de mon propre effort….
… Tu sais, toi, combien il faut de travail patient, d’études, de recherches, d’expérience aussi, pour mériter ce beau titre de “Meneur de Jeux” dont on se pare souvent avec trop de hâte. Tu sais, pour y avoir participé, combien de temps nous avons mis pour donner convenablement un jeu burlesque comme “La Tour” ou “Le Meunier”, ou encore “La Ballade des Pendus”…
Puisse donc, grâce à toi, conserver son authenticité et reprendre un nouvel élan, ce “Théâtre de la Flamme” dont tu fus et restes l’un des plus ardents et des plus hardis pionniers.
Hoc erat in votis…
Je t’embrasse
ton
Léon Chancerel
(extrait de la préface du 6 juillet 1948)
J. de Gigord – 1948 – Illustrations de Pierre Joubert