Péguy, c’est ma jeunesse. Quand j’essaie de me souvenir du jour où je l’ai rencontré pour la première fois, impossible. Je revois seulement, à Saint Barbe, une cour aux murs peints en rose, pour nous faire oublier sans doute l’ennui de notre vie cloîtrée. C’est certainement là, dans ce rose de bonbon fondant, que Péguy est tombé, un jour, au milieu de notre petit groupe qui préparait l’Ecole Normale. Singulier camarade ! Il venait de faire à Orléans son année de service militaire. Cela lui donnait à nos yeux la phisionomie de quelqu’un qui déjà n’appartenait plus à notre espèce collégienne, d’un homme déjà entré dans la vie, et qui de son plein gré revenait à l’étable pour y reprendre le joug avec nous autres, jeunes animaux de la cour rose, qui n’avions jamais quitté nos mornes pâturages, et achevions là nos enfances toutes soumises encore aux volontés familiales…
Début du premier chapitre du premier volume.
Librairie Plon – 1926 – uniquement le volume 2