…
– Etranger, souffla le vagabond du Royaume, ne sens-tu pas qu’en ce moment Dieu souffre ? ?Ne comprends-tu pas que Dieu pleure ? Voilà ce qui nous arrive de temps en temps.
– Ah ! soupira Sébastien, qui pourra donc me dire où est Jésus, mon Maître et mon Ami ?
– Jésus ? fit le vagabond tout bas. Jésus ? Mais tout le monde sait que Jésus n’est pas ici. Il a paru, jadis, à la droite du Père et, tout de suite, il est retourné là-bas, parmi les hommes, pour souffrir avec les hommes. Il revient ici, de temps en temps, et nous l’aperçevons au cours d’une cérémonie. Il est triste et sa vue nous déchire le coeur. Il ne tarde pas à retourner sur la Terre. Il y est crucifié souvent. Alors le Seigneur notre Père verse des larmes et la lumière du Royaume semble, comme aujourd’hui, mêlée d’ombre et de fumée. Couche-toi, étranger, pour laisser passer la souffrance de Dieu.
Sébastien se coucha donc, face contre terre, et demeura si longuement dans cette position qu’il en oublia le temps, le monde et même sa propre angoisse…
(Extrait du dernier chapitre)
Mercure de France – 1946