Quand Tristan Bernard, après avoir été emprisonné par les Allemands, puis relâché, put enfin regagner cette petite maison où vivait sa famille, à Paris, dans un quartier du Nord, j’allai lui rendre visite. J’appris ainsi qu’au moment de son arrestation, le vieux philosophe avait poussé un soupir et murmuré : “Nous avons jusqu’ici vécu dans l’angoisse. Nous allons maintenant vivre dans l’espérance.”
Cette parole est belle. Elle est riche de signification. Elle s’applique à tous les hommes qui ont à redouter de grands malheurs et qui, finalement rejoints par l’adversité, se jettent dans l’espoir avec une sainte ferveur. Pendant qutre années, nous avons tous, nous, Français, été soutenus aussi par un miraculeux espoir. Puis la délivrance est venue dans une lumière de féerie. Et maintenant, près de trente mois ont passé sur ces souvenirs exaltants. Maintenant, il nous faut rassembler nos forces pour, chaque jour et chaque minute de chaque jour, sauver l’espérance bénie dans le désordre du siècle.
Ces pages que l’on va lire, ces pages que j’ai composées à la pression des évènements depuis l’été 1944, je les ai donc rassemblées sans y changer quoi que ce fût. L’intérêt d’un tel travail est justement de montrer les raisons de notre confiance et les épreuves auxquelles, de saison en saison, elle s’est trouvé soumise…
Journal du Docteur Georges Duhamel rédigé entre août 1944 et décembre 1946.
Mercure de France – 1947 – 424 pp.