En 1910 cinq, quand j’étais directeur de l’institut libre de Saint-Lô, j’écrivis, sur la demande d’Henri Joly, dans la collection “Les Saints”, qu’il dirigeait, la vie de Sainte Marie Madeleine Postel.
Après une dizaine d’éditions, d’entente avec la librairie Gabalda, je confie à la maison de la Bonne Presse, qui a publié avec grands soins plusieurs de mes livres, une révision et une forme nouvelle de mon ouvrage.
Ce travail trouve une coïncidence opportune dans le fait qu’il y a cent ans, le 16 juillet 1846, la Sainte quitte la terre pour le ciel, et que des solennités vont exalter son souvenir à Saint-Sauveur-le-Vicomte, à Barfleur et à Cherbourg.
La Normande, qui fonda péniblement sa Congrégation, fut une âme vigoureuse, désintéressée, et si confiante à la Providence, si passionné de l’Eucharistie, si ardente ou bien est mortifié, que le décret pontifical de sa béatification la déclarait parvenue, “d’après le jugement de tous, au faîte de la perfection”.
Dieu se complaît à glorifier les humbles à mesure des efforts qu’ils déploient pour se soustraire aux éloges. Ce livre servira, une fois de plus, ses desseins.
Sans doute, le cumul de difficultés, de périls, et de souffrance, auquel fit face une volonté intrépide, est une histoire pathétique ; mais le rayonnement de la modestie, la délicatesse de la ferveur, que le ciel à nimbées de faveurs surnaturelles, gagne plus encore la sympathie et la vénération.
Toujours messagère de haute leçon, la biographie de Sainte Marie Madeleine Postel attire émérite, actuellement, l’attention pour un double motif.
“Dieu veut, disait Pie X, que ces exemples d’éminentes vertus et d’ardents courages soient rappelés parmi les crises qui assaillent l’Eglise…, afin que les femmes catholiques de France comprennent qu’il y a là un modèle proposé à leur imitation.” Cette vaillance de leur été pas nécessaire, quand une agitation malsaine fait vaciller jusqu’aux pierres du foyer domestique, aux droits imprescritptibles des parents, quand des nuages menaçants rôdent à l’horizon ?
Puis, en face des ruines amoncelées par la guerre, quel réconfort et quel aiguillon que le zèle et la ténacité de cet octogénaire, commençant, poursuivant, malgré les travers des hommes et des choses, et sans ressources, la restauration d’une abbaye délabrée, dont les murs chancelants, la voûte béante, et tout l’aspect lamentable, offrez l’image tragique de nos villes incendiées ou démolies, de nos églises meurtries ou écroulées !
Ainsi la Mère Marie-Madeleine Postel enseigna ses compatriotes de l’infortunée Normandie, rançon de la France délivrée, et à toutes les victimes de la guerre, tenter de découragement devant leur désastre, ce que peut, en dépit d’obstacles déprimants, une fois qu’il puise dans le seigneur la force de ne défaillir jamais le moyen d’aboutir.
Les amis de la Sainte ont remarqué que des évêques, ou des prélats, eurent part à sa vie pour la diriger, pour l’écrire. Monseigneur Dancel, mort évêque de Bayeux, Monseigneur Delamare, évêque de Luçon, puis archevêque d’Auch, furent ses conseillers. Ce dernier lui a, en outre, consacrer un livre, avec l’autorité d’un confident, et Monseigneur Legoux, qu’il a imité, restera, dans les annales de la vie de Saint-Sauveur-le-Vicomte, comme l’un des artisans, actif et généreux, de sa béatification.
Je rends grâce à Dieu d’unir mon nom aux leurs.
Le titre du volume précise que la Mère Marie-Madeleine Postel était normande.
Non par gloriole, comme si je regrettais “le temps où, dit Fontenelle, on se crut obligé de faire des excuses au public de ce qu’on n’était pas normand”. Mais Sainte-Beuve reconnaîtrait encore : “la Normandie est une province qui de tout temps, c’est volontiers occupé de ses antiquités et de ses grands hommes… célèbre par les poètes qu’elle a produits, et au Moyen-Âge et à la naissance de notre littérature classique (sans parler des plus récents), elle les honore, et, ce qui est la meilleure manière de les honorer, elle les étudie.”
Les gens de lettres normands ne sont pas seuls à mériter l’honneur d’une étude. Assurément, je me réjouis que ma province natale puisse revendiquer, avec les “écrits éternels”de Malherbe, et les tragédies de Corneille, tant de poètes et de prosateurs : Bayeusain Alain Chartier, une reine aimant pour ces mots dorés ; les gais compagnons Basselin et Le Houx ; les deux Vauquelin ; Bertaut, Montchrestien et Du Perron ; Segrais, et les Scudery, dont
En prose, comme en vers, le nom fit quelque bruit ;
Boisrobert, l’étincelant Brébeuf, Benserade, Sarrasin ; Thomas Corneille, éclipsé par son frère, et Pradon, malgré sont écrasant rival, racine; Saint-Amant, Daniel Huet, Mézeray, Saint-Evremont Fontenelle, qui, sans encombrement, paraît-il.
D’une main légère tenait
Le compas, la plume et la lyre ;
Casimir Delavigne, Malfilâtre, dont la mort, au dire de Chateaubriand, “rendit les Muses inconsolables” ; Chênedollé et ses vers jugés, par Madame de Staël, “aussi hauts que les cèdres du Liban” ; Barbey d’Aurevilly, Feuillet, Flaubert, Maupassant, Sorel…, et tant d’autres “auxquels je n’ôte rien, pour ne les nommer pas”.
Mais la Normandie, que Jean Loret proclamait comiquement, en 1660,” toujours féconde en grands hommes, aussi bien qu’elle l’est en pommes, offre une gerbe de cinq que beaucoup de province peuvent, non moins, envier.
Sans rappeler les lointains fondateurs des diocèses normands, que maintes villes, églises, abbayes, continuent d’exalter, en restant sous le patronage et en les invoquant, plus proche de nous, les martyrs missionnaires Jean de Brébeuf et Auguste Chapdelaine, et les saintes victimes de la Terreur, et Jean Eudes, et Thérèse Martin, d’Alençon, devenu à Lisieux Thérèse de l’enfant Jésus, prouve que le vieux sol demeure fertile : les fils n’ont pas abandonné les religieuses et vaillantes traditions des aïeux.
Marie-Madeleine Postel s’inscrit dans la balance des cinq normands avec noblesse.
Le Mans, 17 avril 1946, 28e anniversaire mon sacre.
Bonne Presse – 1945