Affaires étranges
Ce nouveau volume de la Petite Histoire arrive à sa place dans une série dont Lenotre avait personnellement tracé les grandes lignes, sinon le plan détaillé.
À la suite des volumes évoquant l’épopée impériale, le drame révolutionnaire, Paris qui disparaît ou Versailles au temps des rois, Lenotre avait envisagé de consacrer un tome de la Petite Histoire à certaines de ces affaires obscures ou de ses figures étranges dont le secret a de tout temps aiguiser la curiosité des chercheurs.
C’est ce projet qui réalisait ici. La plupart de ces études ont paru, dans les colonnes du Temps, entre les années 1899 et 1914 : c’est dire qu’aujourd’hui les plus attentifs lecteurs de Lenotre les ignorent généralement. On y retrouvera cet art merveilleux du récit, cette force évocatrice, cette finesse du jugement, ce sens de l’anecdote significative, qui étaient les dons inimitables de Lenotre.
Plusieurs chapitres ont trait aux problèmes soulevés par la fameuse et irritante énigme du Temple, la disparition de Louis XVII.
Voici plus de 150 ans que s’affrontent les thèses furieusement contradictoires de ceux qui croient à l’évasion de l’enfant-roi et de ceux qui sont convaincus de sa mort prématurée dans les cachots du Temple ; les « évasionistes » se subdivisent eux-mêmes en partie son de la survivance ou de la non survivance de l’infortuné Petit Prince.
Ce livre-ci ne prétend pas fournir la clé d’un mystère, sans doute perdue à jamais, quoi qu’en disent périodiquement les auteurs férus de solutions romanesques ; mais sur plusieurs acteurs ou comparses de ce drame compliqué, il projette de bien curieux et incisif trait de lumière. Dans ce cas de Naundorff, par exemple, les preuves rassemblées par Lenôtre sont décisives. Chacun connaît, au moins sommairement, l’histoire de cet horloger prussien qui, reprenant à son compte le rôle déjà joué par Hervagault, par Mathurin Bruneau et par Richemont, s’avisa de se présenter aux Français vers 1833 comme le fils de Louis XVI, comme l’authentique Louis XVII, et de s’attribuer, avec le nom de bourbon, le titre de duc de Normandie. Après sa mort, les descendants de Naundorff plaideurs pour faire reconnaître leurs soi-disant origines et obtenir d’être réintégré dans leur qualité de Français. Leur demande fut repoussée par le tribunal civil de la Seine. Mais en 1910 il réussira porter le débat devant le Sénat et trouvèrent, pour soutenir leur cause, un champion résolu dans la personne du baron Boissy d’Anglas, rapporteur de la commission chargée d’examiner la requête.
Ce sont les arguments prétendus historiques, fournis par Boissy d’Anglas à l’appui de la thèse naundorffiste, qui sont épluchés en détail est réputé. Par. Dans le chapitre intitulé “la question Louis XVII devant le Sénat”. Cette démonstration, modèle d’analyse et de sagacité historique, permet de tirer au moins une conclusion : l’énigme du Temple subsiste, mais il n’y a plus de question Naundorff.
Grasset – 1950