Au mois d’août 1914, la déclaration de guerre avait soulevé, dans le peuple russe, un élan superbe, un enthousiasme unanime. À Moscou, à Kazan, à Kharkov, Odessa, à Tiflis, à Tobolsk, à Irkoutsk, partout, c’était les mêmes acclamations populaires, la même ardeur grave, le même ralliement autour du Tsar, la même foi dans la victoire, la même exaltation de la conscience nationale. Nulle exception, nulle dissidence. Les socialistes eux-mêmes exhortaient la démocratie russe à défendre la terre natale contre l’invasion étrangère : “Ouvriers et paysans, disait-il, rassembler toutes vos forces pour défendre notre pays ; nous ne libérerons ensuite !…”Aux yeux de tous les Russes, il était évident que cette guerre, déclarée, voulue par l’Allemagne, serait un duel à mort entre le slavisme et le germanisme.
L’âme collective de la Sainte Russie ne s’était pas exprimée aussi fortement depuis 1812.
Un événement se produisit bientôt devait surexciter encore les énergies nationales : le 29 octobre, la Turquie ouvrait brusquement les hostilités contre la Russie.
Cette agression soudaine avait retenti jusqu’au fond de la conscience russe. Immédiatement, les utopies romantiques du panslavisme orthodoxe s’étaient ranimées dans tout l’Empire. Et le grand rêve séculaire, né jadis au Kremlin moscovite, de rêves éblouissants de Constantinople, hallucinait toutes les armes.
Mais bientôt, avec l’apparition des premiers froids, j’avais dû constater, dans l’opinion publique, les signes indéniables de fatigue et d’inquiétude. La guerre, décidément, ça lançait beaucoup plus grande, beaucoup plus périlleux, beaucoup plus meurtrière qu’on ne l’avait d’abord présumé. Le 9 décembre, je notais dans mon journal : ” L’incertitude qui règne sur les opérations militaires de Pologne, le pressentiment trop justifiait des pertes énormes que vient de subir l’armée russe, entretiennent dans le public une morne tristesse. Je ne rencontre partout que des gens déprimés ; je reconnus partout des propos tels que ceux-ci : “Ah ! quand donc finira cette affreuse guerre…”
Flammarion – 1939 ?
Couverture abîmé, mais intérieur très frais. Photos noir et Blanc